entretien avec Przemek Blaszczak 17.08.12

Présentation de travail et rencontre avec Przemek Blaszczak

17.08.2012

cette rencontre faisait suite à la présentation de travail de fin d’atelier au Site de pratiques théâtrales Lavauzelle,

dans le cadre du programme « Matières premières », 12-17 août 2012.

Jean-François Favreau : Je voulais proposer une courte rencontre avec Przemek, parce qu’il est notre invité ici pour la première fois, parce qu’il a dirigé et mis en forme une bonne partie du travail que vous venez de voir, et parce qu’il nous a amené beaucoup d’une belle énergie. Je voudrais lui demander de parler de son travail comme pédagogue et directeur, et comme metteur en scène. Je sais que son travail est profondément ancré dans sa pratique d’acteur (avec Teatr ZAR), mais je voudrais lui demander… Przemek, qu’est-ce que tu essaies de faire dans ton travail de créateur ?

Przemek Blaszczak : Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le travail de l’acteur à partir de son expérience du corps. Donc je vise d’abord à traverser avec lui un processus qui l’amènera à se faire confiance, à éviter que son corps apporte trop de résistances dans le travail créatif.

L’une des parties principales des ateliers, mais aussi des exercices quotidiens, c’est l’entrainement physique de l’acteur. Il peut être d’abord compris comme un exercice voué à garder éveillé et alerte le corps, et comme ce que j’appellerais « une hygiène du corps », un rituel quotidien où l’on vient, on travaille, et on garde son corps en éveil. Cependant, je ne suis pas du tout intéressé par les exercices pour eux-mêmes – ce ne sont que des outils qui permettent d’aller vers le processus créatif.

En travaillant un peu plus longtemps avec les gens, nous pouvons atteindre un point à partir duquel, par les échauffements et de simples exercices, il est possible d’établir un niveau commun de travail, et d’accéder au domaine créatif, par des improvisations ou bien un matériel préparé. Donc, il s’agit d’un processus assez long qui demande beaucoup d’efforts : vous vous préparez, vous avez besoin d’efforts pour passer du niveau des exercices à celui des improvisations, puis en improvisant vous pouvez trouver quelques éléments qui pourront constituer la base d’un travail de composition en direction de la création.

J’essaye de revenir régulièrement à l’improvisation, de sorte que l’acteur retourne aux sources de sa créativité. Dans le cadre d’un travail de long terme, j’attends de l’acteur qu’il soit capable de s’observer lui-même. Il doit alors pouvoir saisir des moments qui pourront lui être utiles ensuite dans le processus de création, et construire par lui-même, par l’improvisation, une courte structure qui pourra être utilisée comme matière première.

Ce peut être fait d’une façon simple : vous travaillez sur des impulsions, commencez à répéter, à les agencer dans une structure… ceci peut susciter des associations, et nous faire avancer en direction d’un spectacle.

Je parle là du point de vue pédagogique, pratique. Mais pour aborder la question sous un autre angle, ce qui m’intéresse personnellement dans la physicalité de l’acteur, ou dans ce qu’on appelle théâtre physique, c’est de réduire, c’est la réduction… Je crois vraiment que souvent, dire moins, c’est dire plus. Donc, en construisant des relations entre les acteurs, je recherche toujours les situations que je peux ramener à des formes simples, minimalistes, mais toujours pleines de sens, de potentialités. Ca donne au témoin l’espace de construire son propre itinéraire de signification, et sa propre implication dans ce qu’il voit.

Loin de vouloir illustrer, je souhaite apporter sur la scène un morceau de réalité, que nous pouvons observer, et comprendre ensuite ce qui est vraiment en train de se passer. Plutôt que de raconter une histoire, je cherche la possibilité pour que l’histoire se déroule sans faire croire que j’en maîtrise tous les sens possibles.

Comme metteur en scène, je veux partager mes sentiments, exprimer un état du cœur ou de l’âme, plutôt que de construire une narration univoque.

Pendant les ateliers, j’essaie de travailler avec ça et de partager cette vision avec les participants. En général, nous atteignons toujours un point où il arrive que quelque chose soit dit sur scène. Mais mon but, c’est de les contaminer et de les laisser partir avec un goût de ce théâtre. J’espère que ça aura une influence positive pour eux, même s’ils font plutôt un autre type de théâtre.

J.-F. Favreau :

Je voulais te demander encore une chose : pourrais-tu nous parler d’un moment de ton expérience où tu as vu changer quelque chose dans ton travail corporel, en tant que praticien ?

P. Blaszczak:

Un exemple pourrait être lorsque nous avons travaillé tous les deux avec Jean-François sur Anhelli (Anhelli. L’Appel, de Teatr ZAR, qui a été créé à Londres, au Barbican, en 2009). Nous avons travaillé sur le thème des chutes. Nous devions créer un orchestre de corps, qui jouaient une partition rythmique en tombant. En pratique, nous étions six à nous jeter sur un sol de bois, recherchant l’énergie brute de la chute mais en accord avec des modules rythmiques. Nous avons travaillé longtemps en groupe. Mais à un moment, nous avons ressenti la nécessité de travailler individuellement.

Puisque les images de départ étaient très fortes, j’ai travaillé avec beaucoup de tensions dans le corps. Quand on tombe, on se crispe toujours, parce qu’on a peur de vous faire mal. J’ai donc commencé à travailler seul intensivement, je me suis blessé à la tête et je me suis bloqué la colonne vertébrale si bien que je n’ai pas pu travailler pendant trois semaines. J’utilisais le squelette sans ménagement, en frappant le sol, si bien que les vibrations traversaient toute la structure osseuse jusqu’à la nuque. Ma colonne fut ébranlée au point que je ne pouvais plus sentir mes jambes. Mais j’ai dû continuer, car la première arrivait. Cette expérience douloureuse m’a poussé à rechercher une forme de détente.

Je pratique aussi les arts martiaux, où les tensions sont utilisées pour protéger le corps. Je pensais qu’il s’agissait de la seule vérité, et j’ai donc dû découvrir une autre façon, complètement décontractée, de bouger. Donc sans remettre en question les arts martiaux que je continue à pratiquer, et grâce à cet accident, j’ai développé une façon de travailler fondée sur la relaxation, ce qui m’a fait complètement changer de point de vue.

Avec l’âge, votre corps change, et ce que je pouvais faire il y a 15 ans avec mes muscles, je dois le faire par le relâchement, et grâce à ma structure osseuse. Je me fatigue plus vite. Dans le travail du corps, vous devez chercher de nouvelles solutions, vous devez vous adapter, encore et toujours, à un processus de changement infini.

Estelle Sorribas :

Est-ce que tu as déjà travaillé avec des gens plus âgés ?

P. Blaszczak :

J’ai travaillé aux Etats-Unis avec des acteurs confirmés de 50 ou 60 ans. Nous n’avons pas travaillé aussi intensivement sur la condition physique, mais il est alors possible de travailler avec la conscience corporelle, avec le fait de se laisser guider par différents points du corps et de les laisser parler ; avec les différentes possibilités de diriger, de parler au corps ; avec la proximité… vous pouvez faire ça avec des acteurs de tous âges.

Souvent les acteurs ne veulent pas dépasser un point dans le travail corporel : ça devient tout de suite quelque chose de sexuel, ou bien des distances artificielles sont maintenues… la clef, pour créer un contact « normal », c’est le corps. C’est une étape toujours nécessaire, et ça marche toujours.

[…]

Il y a toujours été mal à l’aise à l’idée de travailler avec des gens qui ont trente ans de plus que moi, parce que je n’en vois pas le sens. Je ne serais pas capable de bouger comme [eux]. Si cela m’était demandé, je devrais d’abord conduire une recherche, construire un entraînement pour comprendre comment ça fonctionne quand la structure est plus faible. Je devrais aussi comprendre comment marche un corps avec une telle histoire.

Przemyslaw Blaszczak est un acteur de Teatr ZAR de Wroclaw, Pologne, dont il dirige pour partie l’entraînement physique. Il a également travaillé avec la compagnie Song of the goat, est formé à l’Aïkido et l’Aikitaïso, et met en scène ses propres travaux. C’est aussi un collaborateur de long cours de l’Institut Grotowski et en 2012, il collabore avec le metteur en scène Theodoros Terzopoulos. Comme artiste indépendant, et en collaboration avec Nini Julia Bang, il a développé par des ateliers et rencontres une plateforme artistique « Embraces ».

 Biographie

 

Liens :

www.teatrzar.art.pl,

facebook.com/embracesworkshop

grotowski-institute.art.pl