par Marie-Geneviève L’Her, actrice, pédagogue – Cie l’homme ivre, 2011
Le mime corporel a été fondé par Etienne Decroux à la fin des années 1920.
Il explore les possibilités du mouvement, en plaçant le drame à l’intérieur du corps humain en mouvement. Contrairement à la pantomime, il ne « mime » pas, ne cherche pas à remplacer la parole par le geste, et n’est pas fondé sur des codes connus du public.
Il est parent de la statuaire, de la poésie et de la musique. Il procède par analogie, métaphore, et musicalisation. Fondé sur une étude méticuleuse de l’articulé du corps, il s’inspire des mouvements du quotidien et donne à l’effort une valeur éthique et esthétique.
Pour étudier l’expressivité du corps humain, et sans doute inspiré en cela par ses origines modestes et les nombreux métiers qu’il a exercés, Decroux s’est beaucoup intéressé aux mouvements du travail. Sa recherche peut être comprise comme une mise en valeur et une poétisation des gestes quotidiens de la classe laborieuse, et une illustration de la beauté métaphysique de l’humanité dans l’effort.
Decroux avait coutume de dire que la colonne vertébrale d’un homme qui connaît une déception amoureuse est semblable à celle d’un homme qui porte un sac de charbon.
A partir d’une étude inlassable du vocabulaire des articulations et mouvements humains, il fonda une conception originale du corps : pour lui, les « travailleurs » sont les pieds, les jambes et le tronc. C’est là, et non dans les bras, les mains ou la tête, que réside l’expressivité du corps, les signes de la lutte de l’humanité pour la verticalité, et son effort permanent contre le poids physiques et métaphysiques.
La technique
Le vocabulaire du mime corporel s’acquiert par la pratique d’une recherche qui se décline en plusieurs domaines :
– « les gammes » : ce sont tous les exercices fondés sur l’isolation des différentes parties du corps. Selon Decroux, la colonne vertébrale peut bouger « en barre »: on déplace, en suivant des lignes droites, les différentes parties du corps: tête, cou, poitrine, ceinture, bassin; « en annelé »: on déplace, en suivant des lignes courbes, les différentes parties du corps; et « en accordéon »: les différentes parties du corps s’effondrent sur elles-mêmes et s’étirent loin du centre.
Ce jeu articulatoire se décline en gammes vers l’avant, vers l’arrière, sur le côté,
« en rotation », « en rotation sur un plan incliné », et dans chacun des huit « triples dessins ».
– « la statuaire mobile » : Ce terme fait référence aux statues de la Grèce antique, à la grâce et au réalisme de leurs positions, aux lignes de force qu’elles montrent.
– « les figures de style » : il s’agit de brèves études. Elles assemblent à l’intérieur de compositions plus longues des motifs (triple dessins, marches, articulations).
– les marches : Le répertoire de Decroux comprenait un centaine de marches, qui pouvaient être considérées comme des variations à partir d’une dizaine de pas de base.
– « les contrepoids » : pour plusieurs grands réformateurs du théâtre, le jeu de l’acteur pouvait se réduire aux actions de pousser et tirer. À partir de ces deux actions opposées, Decroux créa quatre contrepoids différents: « la cardeuze », le « sauter pour tomber sur la tête », le « rétablissemment de deux éléments », la « suppression du support ».
Grâce à ces différents exercices, l’acteur acquiert une précision et une qualité de mouvement qui vont se retrouver dans ses improvisations et ses propres compositions.
Les improvisations : à leur sujet, Decroux avait l’habitude de dire seulement: “Faites le portrait d’un homme qui pense. Après un moment, vous deviendrez la Pensée. L’émotion guide le mouvement, la pensée engendre l’immobilité.” Pour la personne qui improvisait, cela signifiait qu’elle devait faire taire les voix qui remplissent habituellement la pensée. Seulement ensuite, « être frappé par une idée » redevient possible. Tout en suivant le cours tranquille de la pensée, et tout en étant parfaitement conscients et alertes, les acteurs touchent ainsi à une immobilité vibrante, et à des mouvements imprégnés de cette immobilité.
Les compositions : en étudiant, décomposant et fragmentant des actions de la vie quotidienne, l’acteur crée une phrase de mouvements qui, tout en l’évoquant et la dépliant, s’éloigne de l’action de départ. C’est ainsi que Decroux créa « La lavandière », « Le charpentier », « Le Menuisier », ou « La présentation aux dieux des premiers pamplemousses de la saison »,
Decroux dans Le Menuisier
Étienne Decroux
Né en 1898, il commence à travailler à l’âge de 13 ans. Il a tour à tour été plongeur, peintre, plombier, maçon, couvreur, docker…
À 25 ans, il décide de suivre des cours de théâtre, initialement pour améliorer sa diction et entamer une carrière politique. Il s’inscrit à l’école du Vieux-Colombier, où il rencontre le masque neutre.
Acteur de théâtre et de cinéma (Les Enfants du Paradis.), il travaille avec les plus grandes figures françaises de son temps : Artaud, Jouvet, Dullin, Carné et Prévert…
Parallèlement, avec Jean-Louis Barrault, qui fut son premier disciple, il étudie les mouvements du quotidien, les gestes des travailleurs et des sportifs, élaborant ainsi les bases du mime corporel dramatique.
En 1941, il ouvre son école de mime corporel et commence à enseigner.
Au cours des années suivantes, il montre ses pièces dans toute l’Europe et en Israël, enseigne aux États-Unis (New York University, Actor’s Studio…).
Rentré en France, il installe son école à Boulogne, en région parisienne, où il enseignera jusqu’en 1986, soit cinq ans avant sa mort.
Grâce à quelques personnes, dont Eugenio Barba et l’Ista (International School of Theatre Anthropology), quelques livres paraissent qui lui rendent hommage, et par lesquels, il trouve sa place parmi les principaux maîtres du théâtre du xxe siècle.
Marie-Geneviève L’Her, photo Jean F. Favreau
Ce texte est fondé pour l’essentiel sur l’excellent ouvrage de Thomas Leabhart, Etienne Decroux, publié aux éditions Routledge, coll. Performance Practitioners (en anglais).