« Le Kalaripayatt du style du sud »
extraits de la présentation du Studio Kalari donnée à La Métive, moutier d’Ahun, le 05.08.2011, dans le cadre du programme « Lavauzelle année zéro ».
Le Kalaripayatt vient de l’état du Kerala, au sud de l’Inde. C’est un art martial très ancien. Il apparaît autour du 10e ou du 11e siècle, ce qui correspond au Moyen-âge du Kerala. Bien sûr des techniques de combat étaient bien connues en Inde auparavant, ce que nous savons grâce aux récits épiques anciens, mythologiques, comme le Mahabarata ou le Ramanyana.
C’est un art de combat qui est loin d’être aussi célèbre que, par exemple, le karaté ou le kung-fu. Parler d’un art martial indien, d’ailleurs, ne manque pas de surprendre tout le monde, puisqu’on imagine toujours l’Inde associée au yoga ou à la méditation, pratiques calmes et sereines, alors que l’imaginaire collectif associe volontiers les arts martiaux à l’agressivité. Avec le kalaripayatt, c’est loin d’être le cas, puisque la pratique est toujours d’abord un travail sur soi et sur son propre corps.
Ce que nous savons, c’est qu’au 9e et 10e siècle le Kerala était divisé en baronnies. Chacune, dirigée par le souverain local, disposait d’une armée, dont les membres étaient recrutés dans une caste appelée Naiar, ou Nair, qui est celle des guerriers et des soigneurs pratiquants de l’Ayurveda. Dès l’enfance, les garçons étaient envoyés au gurus qui les entraînaient, préparant leur corps par des exercices de souplesse et d’endurance, pour pouvoir supporter des conditions très dures. Cette discipline est également liée à l’émergence, aux XV et XVIe siècles, d’un art scénique (dramatique et chorégraphique), le Kathakali. Actuellement, de nombreuses écoles existent dans les trois styles (du Nord, du Sud et du centre, qui se réfèrent à chaque fois au Kerala), et on peut dire que cet art martial jouit d’une certaine popularité. L’intérêt des occidentaux compte dans cette équation, et représente aussi une économie non négligeable.
Le mot Kalaripayatt est composé de deux termes : kalari (l’espace) et payattu (le combat, l’exercice physique). La pratique vise avant tout à préparer le corps en vue du travail avec les partenaires, en contact ou avec des armes. L’un des objectifs du kalaripayatt consiste à comprendre comment fonctionne le corps, comment se débarrasser de mauvaises habitudes, comment améliorer son sens de l’orientation, de la coordination, et sa souplesse.
Ensuite, nous avons le combat à mains nues. Chaque combat est réglé : il s’agit de chorégraphies, apprises, où l’un attaque et l’autre se défend, avant d’échanger les rôles. Chaque élément doit être appris de la façon la plus précise possible, de façon à ce qu’en travaillant avec un partenaire différent, on ait la possibilité de réactions instinctives. Le Kalaripayatt comprend le combat avec les bâton et bâton court, couteau, triple épée, lance, massue, l’épée et bouclier (les plus nobles), et une longue épée-fouet appelée Urumi, qui est très dangereuse.
Le kalaripayatt est connecté avec l’art de soigner. Ce versant de la pratique est appelé Kalarishikitsa. Une de ses composantes est le massage, de différents types : les massages curatifs, adaptés à différentes catégories de problèmes, et ceux qui visent à préparer le corps et à le rendre plus souple. Ils travaillent sur les articulations, colonne vertébrale, muscles et veines, les ligaments, et ils aident la circulation du sang, ce qui vivifie le corps. Il existe notamment un mode de massage, très spécifique au Kalaripayatt, qui s’effectue avec les pieds.
Hors de l’Inde, il n’y a que quelques endroits où l’on peut pratiquer le kalaripayatt. Dans beaucoup de cas, les personnes intéressées viennent du milieu artistique et du théâtre. Le kalaripayatt n’est pas concentré sur le système de combat mais sur l’art qui l’englobe. On apprend comment le corps fonctionne, comment à la fois dérégler et réparer son fonctionnement, avec notamment la connaissance, distillée au compte goutte, des Marmas, points vitaux, centres nerveux et artériels. Au bout du compte, c’est surtout un art de se battre avec soi-même. Pour les étudiants, la pratique du kalaripayatt déborde les moments d’entraînement, et devient une façon de vivre et de se comporter.
Justyna Rodzinska-Nair est avec Sankar Lal Sivasankaran Nair co-fondatrice du Studio Kalari, à Wroclaw, association soutenue par l’Institut Grotowski. Elle est l’auteur d’un mémoire de mastère, à Cracovie, sur le Kalaripayatt et les arts performatifs.